Les mines d'Entrevernes consistent en un gisement de lignite qui s'étend, en réalité, des bords du lac d'Annecy, près de Duingt, aux confins du Châtelard, en longeant la vallée reliant Entrevernes et Bellecombe-en-Bauge. En 1795, le célèbre géologue français Dolomieu disait " qu'il n'existait pas en Europe de mine plus heureusement située ". Ce gisement date probablement du tertiaire inférieur. Le gîte, dont l'épaisseur moyenne est de deux mètres, court sur une longueur de dix à douze kilomètres, et se déploie sur une largeur d'environ trois cents mètres. Il est positionné presque verticalement et ses différentes couches forment un synclinal qui, dans son ensemble, représente un fond de bateau.
Suite à un éboulement de terrain, survenu sur la commune d'Entrevernes en avril 1794, le lignite affleure pour la première fois, précisément aux " Mollières ", lieu-dit du hameau de Saury. Le filon, au gré des apparitions successives d'affleurements, sera partagé en cinq concessions : trois sur la commune d'Entrevernes et deux sur celle de Bellecombe, à l'Avalanche.
Au cours du printemps 1794, lorsque des paysans d'Entrevernes découvrent fortuitement le premier affleurement de minerai, la nouvelle fait grand bruit dans cette région où le charbon était jusqu'alors inconnu. L'administration du district d'Annecy, alertée, décide d'entreprendre immédiatement les travaux d'exploration puis d'exploitation. Pendant un an et demi, elle octroie l'exclusivité de la production à une fabrique d'armes qui, sous son égide, s'est récemment installée dans l'abbaye de Bonlieu. À partir de 1796 et jusqu'en 1880, les différentes concessions sont principalement exploitées par des industriels du pays, soucieux d'alimenter leurs propres établissements à moindre frais. Tel est le cas notamment de deux maisons annéciennes la verrerie Collomb et la manufacture de cotons , de la fabrique de verres et de cristaux d'Alex, des fonderies de Cran ou encore de l'entreprise Frèrejean-Roux et Cie.
Puis, de 1880 à 1926, les mines d'Entrevernes connaissent une longue période de sommeil, ponctuée uniquement de courtes reprises pour des travaux d'exploration. Ainsi, au début du XXe siècle, l'entrepreneur de transports Charles Ruphy et le notaire Jean Rosay, tous deux d'Annecy, acquièrent ensemble une partie du domaine et tentent vainement d'en tirer profit jusqu'en 1917. C'est à cette époque que l'ingénieur Paul Girod, propriétaire des forces et aciéries d'Ugine, décide de se lancer parallèlement dans l'exploitation minière. Le 27 décembre 1918, il obtient les cinq concessions et les réunit en une seule pour la première fois. Il n'effectuera en fait que quelques fouilles avant de céder ses droits, cinq ans plus tard, à la société née de la fusion de sa propre entreprise avec une compagnie parisienne. La nouvelle société d'électrochimie, d'électrométallurgie et des aciéries électriques d'Ugine réalise d'importants aménagements sur le site minier, mais l'exploitation qui s'en suit est de courte durée. Courant 1929, les mines sont de nouveau abandonnées.
Dès 1932, la Société des forces du Fier s'intéresse au lignite d'Entrevernes pour alimenter ses usines à gaz, mais surtout pour tenter de produire de l'énergie électrique à partir d'énergie thermique de combustion, à proximité de Doussard. Elle crée alors une filiale, dénommée " Société anonyme des mines d'Entrevernes " qui devient propriétaire des concessions réunies en 1934. Jusqu'en 1939, le conseil d'administration de la Société fait effectuer des travaux d'exploration et de remise en état des chantiers existants. Parallèlement, il recherche activement des débouchés dans les industries de transformation de lignite, mais toutes ses démarches se soldent par des échecs. Début juillet 1940, face à la pénurie de charbon qui menace le pays, les actionnaires, vivement encouragés par les pouvoirs publics, acceptent de faire exploiter le gisement aux fins du simple commerce de combustible.
La SME, plusieurs fois restructurée, assurera l'exploitation des mines jusqu'en 1948. En 1941, la SFF et la SME projettent tout de même l'installation d'une centrale thermique à Saury, hameau de Lathuille. L'idée, qui aurait pu concrétiser les espoirs de transformation du lignite en une énergie beaucoup plus lucrative, sera finalement abandonnée en raison des priorités économiques de l'époque et aussi faute de moyens.
Sur le plan financier, l'entreprise n'est pas rentable. Elle survit grâce au cautionnement de la SSF, à la bienveillance de ses banquiers et aux subventions versées par l'État, conscient de l'utilité de la mine pour la vie locale, en période de restrictions économiques. Toutefois, l'intérêt suscité auprès des pouvoirs publics décroît rapidement après la fin des hostilités. De plus, la SME a accumulé un déficit exorbitant que l'Électricité de France, successeur de la SSF à partir d'octobre 1946, n'entend pas continuer à cautionner. Enfin, la banque, sollicitée, refuse de renégocier la dette. En effet, dans le contexte d'économie nationale renaissante, les houillères des régions de l'Est, du Nord et du Centre de la France deviennent autant de concurrentes bien trop redoutables face à la potentialité du lignite d'Entrevernes, somme toute bien relative. D'ailleurs, lors de la restructuration statutaire du patrimoine minier français, fin 1946, visant à sauvegarder, par le biais de la nationalisation, les compagnies exploitant du minerait de qualité, la mine d'Entrevernes est classée d'office dans la catégorie des " mines exceptées de la nationalisation ". Les actionnaires de la société ne peuvent que s'incliner devant cette décision des Charbonnages de France qui, tout en signifiant la fin du subventionnement de l'État, sonne le glas de leur entreprise : l'exploitation cesse définitivement fin avril 1948. La liquidation des biens mobiliers, immobiliers et fonciers se prolonge jusqu'en 1955. Finalement, la dissolution de la société est entérinée en janvier 1956.
Ainsi s'achève l'histoire des mines d'Entrevernes dont le minerai suscita tant d'espoirs et de désillusions. En fait, tout au long de ce siècle et demi d'existence, les périodes d'exploitation effective n'ont pas excédé dix pour cent du temps considéré.
Volontairement, le monde des mineurs et l'impact socio-économique des mines sur les communes environnantes, particulièrement Entrevernes, Lathuille et Doussard, n'ont pas été évoqués ici. On ne peut, en effet, se satisfaire des allégations avancées, du XIXe siècle aux années quarante, moins par souci de vérité que pour plaire à telle ou telle notabilité locale, ou pour romancer à souhait comme le voulait la coutume de l'époque. Ces questions méritent des investigations sérieuses à mener notamment dans les archives communales des localités concernées et dans les divers fonds administratifs, relatifs à la période considérée, conservés aux Archives départementales de la Haute-Savoie. Cette étude reste à faire.
ESSAI DE CHRONOLOGIE
1794 - 1795 : En avril 1794, suite à un éboulement de terrain, le premier affleurement de lignite est découvert sur la commune d'Entrevernes, aux " Mollières ", lieu-dit du hameau de Saury.
1794 - 1795 : L'administration du district d'Annecy fait aussitôt entreprendre les travaux d'exploration puis d'exploitation. Pendant un an et demi, la production est exclusivement réservée à la fabrique d'armes installée à l'abbaye de Bonlieu.
1796 : La compagnie Collomb, propriétaire d'une verrerie à Annecy, est autorisée à exploiter la partie centrale du gisement située autour du ruisseau de Saury, qui devient alors la concession d'Entrevernes n° 1.
1810 - 1811 : La mine compte 40 ouvriers pour une production annuelle de 500 tonnes.
1812 - 1819 : L'exploitation est interrompue.
1819 : Le 21 septembre, Victor-Emmanuel Ier accorde la concession d'Entrevernes n° 1 à la compagnie Duport, propriétaire de la manufacture royale de cotons d'Annecy.
1821 : Le 28 juillet, un décret royal concède, sous le nom de concession d'Entrevernes n° 2, la partie du gisement comprise entre le lac d'Annecy et la montagne de Toron à la compagnie Laffin et Perravex, pour alimenter sa fabrique de verres et cristaux à Alex.
1823 : Le 30 décembre, Louis Allioud, résidant à Chambéry est autorisé, par billet royal, à exploiter la mine de charbon fossile qu'il vient de découvrir sur la commune de Bellecombe-en-Bauge. Cette partie du gisement constituera la concession de l'Avalanche n° 1.
1838 : Le 13 novembre, les actionnaires de la société anonyme de la manufacture d'Annecy et Pont (successeur de la compagnie Duport), propriétaires de la concession d'Entrevernes n° 1, autorisent la mise en location de la mine aux fins d'exploitation à l'usage exclusif de leurs établissements d'Annecy et Cran. Ils abandonnent ainsi la gestion directe de la mine.
1841 : Le 14 décembre, un billet royal agrée l'association de propriétaires de la concession de l'Avalanche n° 1 (composée de Louis Allioud, du docteur Davet, d'Aix-les-Bains, et du docteur Ambroise Comarmond, de Lyon) et la constitution d'une société d'exploitation.
1854 : Le 2 novembre, Victor Emmanuel II accorde la concession d'Entrevernes n° 2 à la maison Tardy Frères et Cie, propriétaires de la fonderie de Cran.
1854 : Le 3 décembre, Messieurs Richard et Crépine, qui, comme successeurs du sieur Dreset de Chambéry, avaient réclamé la concession de l'Avalanche n° 2, sont autorisés à exploiter cette partie du gisement s'étendant au Sud-Ouest de la concession de l'Avalanche n° 1.
1860 : Le 24 mai, la concession d'Entrevernes n° 3, nouvellement créée, est accordée conjointement à l'entreprise Frèrejean-Roux et Cie et aux frères Joseph et Jean Tardy (déjà propriétaires de la concession d'Entrevernes n° 2). Il s'agit de la partie du gisement comprise entre les concessions d'Entrevernes n° 1 et de l'Avalanche n° 1.
1862 - 1878 : La concession d'Entrevernes n° 1 est louée à l'entrepreneur Bovio qui l'exploite pour le compte des établissements de la manufacture d'Annecy.
1864 : Le 26 janvier, un rapport de l'ingénieur des mines de Chambéry précise que les propriétaires des mines d'Entrevernes sont, à cette époque, la société anonyme de la manufacture d'Annecy et Pont, pour la concession n° 1, et l'entreprise Frèrejean-Roux et Cie pour les concessions n° 2 et 3.
1878 : Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, sur un chantier de la concession d'Entrevernes n° 1, trois ouvriers sont blessés lors d'une explosion de grisou (le directeur des travaux et le chef de poste seront traduits devant le tribunal correctionnel d'Annecy qui, le 22 avril 1879, condamnera le premier à deux mois de prison et acquittera le second).
1878 : Le 13 décembre, l'exploitation de la concession d'Entrevernes n° 2 est suspendue.
1879 : Le 20 mars, l'entrepreneur Barnier succède à l'entrepreneur Bovio à la tête de l'exploitation de la concession d'Entrevernes n° 1.
1880 : Au cours du printemps, suite à un différend l'opposant à son locataire Barnier depuis l'année précédente, la direction de la manufacture d'Annecy fait interrompre les travaux d'exploitation dans la concession d'Entrevernes n° 1.
1880 : Le 29 juin, l'entreprise Frèrejean-Roux et Cie vend tous ses droits sur la concession d'Entrevernes n° 2 à François-Louis Benoît dit " Francisque ", Frèrejean résidant à Duingt.
1889 : Le 25 mars, Francisque Frèrejean cède la concession d'Entrevernes n° 2 à Daniel Millet, d'Entrevernes.
1901 - 1905 : Les deux annéciens Charles Ruphy et Jean Rosay, respectivement entrepreneur de transport et notaire, acquièrent ensemble les concessions d'Entrevernes n° 1 et 2.
1918 : Le 27 décembre, un décret présidentiel autorise la compagnie des forges et aciéries électriques Paul Girod, d'Ugine, à acquérir et à réunir les concessions d'Entrevernes n° 1, 2 et 3 et celles de l'Avalanche n° 1 et 2 sous la dénomination de la concession des mines d'Entrevernes.
1923 : Le 21 juin, la compagnie Paul Girod cède la nouvelle concession à la société d'électrochimie, d'électrométallurgie et des aciéries électriques d'Ugine. La mutation de propriété est entérinée par décret présidentiel.
1926 : La SECEMAEU décide de relancer l'exploitation du gisement. La reprise des travaux débute par la construction d'un tunnel de 358 m à la cote 881 soit 63 m au-dessous des anciennes galeries conduisant directement du ruisseau de Saury au banc principal. Dans le même temps, on installe un téléphérique qui relie le carreau de la mine au hameau de Saury suivant une dénivellation de 250 m, sur une trajectoire de 600 m.
1927 - 1929 : 1.500 tonnes de minerai sont exploitées au cours des trois années.
1930 - 1932 : La mine connaît une nouvelle période de sommeil.
1933 - 1934 : La société des forces du Fier s'intéresse au lignite d'Entrevernes. Elle crée une filiale, dénommée " société anonyme des mines d'Entrevernes ", pour acquérir et exploiter la concession.
1936 : Le 12 mars, intervient la constitution définitive de la SME dont on installe le siège social 3 bd. Decouz, à Annecy. Le capital s'élève à 250.000 Francs. La présidence du conseil d'administration est confiée à l'un des administrateurs, le banquier annécien Léon Laydernier.
1936 - 1939 : La SME fait effectuer des travaux d'exploration et de remise en état des chantiers existants. Parallèlement, elle essaye d'intéresser les spécialistes de la transformation au minerai d'Entrevernes. Aucune tentative n'aboutit ni en France, ni à l'étranger.
1940 : Début juillet, les actionnaires de la SME décident le démarrage de l'exploitation aux fins du commerce de combustibles. Le directeur de la société des forces du Fier, Charles Devant, administrateur de la SME, succède au banquier Léon Laydernier à la présidence du conseil d'administration. Il devient également directeur général de l'entreprise, dont la direction technique est confiée à l'un de ses collaborateurs de la SSF, l'ingénieur Léon Duret. Tous deux continuent d'ailleurs parallèlement à assumer leurs fonctions respectives au sein de la SSF. Louis Houlon, un ingénieur ex-employé de la SECEMAEU est embauché comme chef d'exploitation.
1940 : D'août à décembre, un effectif de 40 ouvriers assure quotidiennement une production moyenne de 15 tonnes dont le tiers est absorbé par l'usine à gaz d'Annecy.
1941 - 1948 : La cadence d'extraction oscille entre 100 et 120 tonnes par jour, donnant une moyenne annuelle de 30.000 tonnes.
1941 - 1948 : L'effectif fluctue entre 40 et 130 ouvriers.
1941 - 1948 : En 1941-1942, la SME et la SSF envisagent l'installation d'une centrale thermique à Saury. Mais le projet n'aboutit pas.
1941 - 1948 : Fin 1942, la SFF opte pour la transformation de sa filiale en société autonome. L'arrivée de nouveaux actionnaires permet de tripler le capital initial de la SME qui passe ainsi à 750.000 Francs.
1950 : Le 22 décembre, le capital de la SME est réduit à 521.500 Francs, et le siège social est transféré 22 rue Guillaume Fichet, à Annecy.
1953 : Le 31 janvier, les actionnaires de la SME décident la dissolution anticipée et la liquidation amiable de leur société.
1956 : Au début de l'année, la liquidation de la société est rendue effective.