Ce n'est pas le lieu de rappeler ici ce que fut à l'origine l'association P.E.C. de Haute-Savoie, héritière, comme celle de Grenoble, de l'École des cadres d'Uriage, puis des Équipes volantes de la Résistance dauphinoise, et aussi, bien au delà, des expériences originales d'enseignement des...
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Ce n'est pas le lieu de rappeler ici ce que fut à l'origine l'association P.E.C. de Haute-Savoie, héritière, comme celle de Grenoble, de l'École des cadres d'Uriage, puis des Équipes volantes de la Résistance dauphinoise, et aussi, bien au delà, des expériences originales d'enseignement des adultes que furent successivement les Universités populaires du début du siècle, les Équipes sociales de la première guerre mondiale et les Collèges du travail du Front populaire. On pourra consulter à ce propos, aux Archives de la Haute-Savoie, l'excellent mémoire universitaire de Geneviève Carpier (1974).
Le "Centre des Marquisats", qui tint une si grande place dans la vie culturelle et sociale d'Annecy et de toute la région alpine durant les années qui suivirent la Libération de 1944, fut géré tout d'abord par un conseil d'administration mis en place par le C.D.L. de Haute-Savoie, puis directement par l'association "Peuple et Culture", qui avait primitivement son siège dans l'ancienne "Commanderie" de la rue des Marquisats. C'est le 1er février 1945 que Jean Le Veugle, enseignant, issu de la Résistance bretonne ("Capitaine Le Breck") fut appelé à diriger le Centre, lequel fut, dès novembre de la même année, rattaché officiellement au ministère de l'Éducation nationale (Direction de l'Éducation populaire, dont était alors chargé Jean Guéhenno), d'abord avec le titre de "Centre éducatif de l'académie de Grenoble", puis, sous le vocable de "Centre régional d'éducation populaire", qui exprimait mieux sa vocation profonde. Au début de 1947, l'institution était placée sous la dépendance administrative du Centre éducatif de Tourvéon à Collonges-au-Mont-d'Or, puis, en décembre 1949, alors que déjà planaient sur elle des menaces de suppression, sous celle du Centre régional d'éducation physique et sportive (C.R.E.P.S.) de Voiron. En octobre 1950, la suppression du Centre était prononcée par décision ministérielle, sur intervention de la Commission nationale d'économie (la fameuse "Commission de la hache") ; et, en mars 1951, les locaux étaient dévolus à la Maison des Jeunes et de la Culture d'Annecy jusqu'alors logée rue du Collège, sous l'égide de la Fédération française des M.J.C.
Le "Fonds Jean Le Veugle" rassemble, en une cinquantaine de dossiers, la matière de ce qui fut une expérience éducative et culturelle extrêmement intéressante, menée par des hommes venus d'horizons très divers, du marxisme au judaïsme, de Péguy et du christianisme social à l'humanisme universitaire et pacifiste de Romain Rolland et d'Alain, et au personnalisme d'Emmanuel Mounier, mais tous issus des épreuves de la guerre : cette guerre qui, si elle a suscité quelques êtres exceptionnels, a aussi mis à jour, en beaucoup d'hommes, ce qu'ils avaient d'exceptionnel. L'"expérience des Marquisats" en est l'illustration brève mais intense : le charisme de ces hommes pour la plupart bénévoles, leur contestation sereine et obstinée des barrières sociales, de l'élitisme et de l'esthétisme, leur souci d'efficacité, leur idéalisme souvent émouvant ont contribué à faire de cette expérience une œuvre demeurée unique même si elle a inspiré et continue d'inspirer d'autres actions et qu'on ne peut évoquer sans nostalgie. En un petit nombre d'années, de l'enthousiasme de la Libération aux angoisses de la "guerre froide" qui allaient faire réapparaître si brutalement les vieux clivages politiques et sociaux, l'essai devait aboutir à l'échec, d'autant que se dressaient sans cesse devant lui les obstacles administratifs et les difficultés financières, et plus encore peut-être l'incompréhension des autorités officielles, la méfiance ou l'hostilité des partis, l'animosité voilée mais grandissante de bien des élus locaux. Au printemps de 1951, malgré l'aide et l'appui de personnalités telles qu'Etienne Borne, Joseph Kosma, Henri Lefebvre, Mounier lui-même, et surtout Hubert Beuve-Méry, ami de la première heure, l'institution fermait ses portes, tandis que son directeur était appelé à d'autres fonctions au Centre éducatif national de Marly-le-Roi.