Les Luxembourg-Martigues constituent une branche de l'illustre maison de Luxembourg, issue de Walram de Limbourg au XIIe siècle, et qui a donné quatre empereurs (Henri VII, Charles IV, Wenceslas, Sigismond) et plusieurs rois de Bohême. Quatre de ses branches se sont établies en France : les comtes de Ligny qui s'éteignirent dès 1415 ; les comtes de Saint-Pol, issus des seigneurs de Ligny, et dont les domaines passèrent par mariage en 1482, dans la maison de Bourbon-Vendôme ; les comtes de Brienne, issus des seigneurs de Saint-Pol, et éteints en 1608 ; les ducs de Piney, qui se fondirent vers 1661 dans la maison de Montmorency. C'est de la branche des comtes de Saint-Pol qu'est issue celle des Luxembourg-Martigues.
Dès 1465, la branche des comtes de Saint-Pol noua des liens étroits avec la maison de Savoie par une série d'alliances, puisque quatre enfants du duc Louis de Savoie épousèrent des membres de cette famille. Mais c'est par le mariage d'Hélène de Luxembourg, fille de Louis, comte de Saint-Pol, connétable de France, avec Janus de Savoie, comte de Genevois par contrat du 2 mars 1465, que commence à se constituer le domaine savoyard des Luxembourg.
Janus de Savoie fait donation à sa femme de la maison de l'Ile à Annecy, le 18 juillet 1473 (A.H.S., SA 96). En 1481, elle acquiert des héritiers de Perrin d'Antioche le château et mandement de Duingt (A.H.S., SA 110). Le 10 mai 1485, elle achète du duc Charles 1er, pour 2800 écus d'or, la châtellenie de Conflans (A.S., SA 23), puis, le 8 mai 1488, pour 10.000 fl. le château et mandement de Cusy (A.S., SA 24). D'autre part, le 10 février 1486, Janus de Savoie, son mari, lui inféode les biens confisqués à Philibert de Compey, soit les châteaux de Thorens, Richemont et Étrembières (A.H.S., SA 132), ainsi que la seigneurie de Montroset, près Sallanches, et diverses terres dans les mandements de Bonne, du château de Faucigny, de Châtillon, Cluses, Sallanches, Montjoie et Charousse (A.H.S., E 82).
Louise de Savoie, fille de Janus et d'Hélène de Luxembourg, épousa par contrat du 23 septembre 1483, Jacques-Louis de Savoie, frère cadet du duc Charles 1er, qui lui constitua pour son douaire une rente annuelle de 5000 fl. assignée sur la baronnie de Gex, les châtellenies de Ternier et de Tournon et le péage du Pont d'Arve près de Genève. Veuve deux ans plus tard, elle se remaria par contrat du 6 août 1486 (A.S., SA 3670), à François de Luxembourg, fils de Thibaut, seigneur de Fiennes. Il était lui-même vicomte de Martigues par suite du legs de son cousin Charles III d'Anjou, décédé le 12 décembre 1481. Par acte passé à Turin le 16 octobre 1487, le duc Charles 1er réduisit le douaire précédemment constitué par son défunt frère à 3000 fl. annuels assignés sur les châteaux et mandements de Ternier, de Belmont au pays de Vaud, les péages et gabelles du Pont d'Arve, de Seys-sel, de Chanaz, d'Yenne, de Saint-Genix, de Pierre-Châtel et de Nyon. D'autre part, la dot de Louise, d'un montant de 100.000 fl., n'étant pas payée à la mort de Janus de Savoie, survenue le 22 décembre 1491, François de Luxembourg en réclama le paiement au duc Philippe de Savoie, héritier de Janus pour le Genevois et le Faucigny. Le duc transigea pour la somme de 40.000 fl. assignée sur les châteaux, villes et mandements de Vevey, Monthey et Evian par acte du 12 avril 1497 (A.S., SA 3653, 3654), confirmé par le duc Philibert 1er le 20 janvier 1498 (A.S., SA 3655) et par Charles II le 16 octobre 1504 (A.S., SA 3670). François de Luxembourg, devenu grand seigneur savoyard augmenta ses possessions de l'achat de la seigneurie de Faverges au duc Charles II, le 5 mai 1506, pour 4000 écus d'or (A.H.S., SA 115) et de celui de la seigneurie du Châtelard-en-Bauges, le 11 novembre 1511, pour 14.000 fl. (A.H.S., 27 J 39).
François II de Luxembourg, vicomte de Martigues, gouverneur général du duché de Savoie, joua un rôle de premier plan sous le règne malheureux du duc Charles. Il avait réussi à conserver la totalité de l'héritage de ses parents, y compris les terres du pays de Vaud et du Chablais assignées à titre de garantie pour la dot et le douaire de sa mère. Mais l'invasion bernoise de 1536 allait lui faire perdre toutes ses possessions des deux rives du Léman : Vevey, La Tour-de-Peilz, Belmont, Ternier, Evian, Féternes et Monthey. Le vicomte de Martigues essaya de récupérer ses terres confisquées par Berne en usant de l'influence de son cousin François 1er, roi de France. Il obtint enfin la restitution de Belmont, Ternier et Vevey le 4 août 1547, mais ces terres étaient lourdement grevées par les emprunts contractés à Berne et à Lucerne par le duc Charles II.
François II de Luxembourg-Martigues, qui avait épousé Charlotte de Brosse, fille de René de Brosse dit de Bretagne, comte de Penthièvre, mourut le 29 juin 1553 au château de Duingt. II laissait une fille, Madeleine, qui épousa Georges de la Trémoille, baron de Royan, et deux fils, Charles et Sébastien. Blessé et fait prisonnier au siège d'Hesdin en 1553, Charles mourut peu après. Sébastien fut lui aussi fait prisonnier lors de la prise de Thérouanne et contraint de payer une rançon de 40.000 écus. Pour réunir cette somme il fit procéder à des aliénations de ses terres savoyardes, donnant pouvoir notamment à François de Sales, l'un de ses maîtres d'hôtel, de vendre jusqu'à concurrence de 7000 écus de biens. Grand capitaine, gouverneur de Bretagne en 1564, Sébastien de Luxembourg mourut d'une blessure contractée au siège de Saint-Jean-d'Angély, le 19 novembre 1569. À la différence de son père et de son grand-père, il n'avait plus d'autre attache en Savoie qu'un domaine dont la dislocation allait se poursuivre inexorablement.
Le principal artisan de cette ruine du domaine savoyard des Luxembourg-Martigues fut le duc Emmanuel-Philibert lui-même. Par l'établissement d'un impôt permanent, il pouvait se passer désormais d'une grande partie des revenus de la couronne, mais du moins entendait-il se servir de ce patrimoine pour récompenser ses bons serviteurs et s'attacher une clientèle, plutôt que d'en laisser profiter une famille redevenue étrangère à son duché. Les ventes consenties par ses prédécesseurs l'avaient été sous grâce de rachat. Profitant de cette clause, par lettres patentes du 10 octobre 1569, il vendit son droit sur la seigneurie de Faverges au président Louis Milliet avec l'autorisation de racheter cette terre aux Luxembourg-Martigues au prix qu'ils l'avaient eux-mêmes payée soixante ans plus tôt (Archives du château de Sury (Nièvre), dossier 26 ; A.H.S., 1 Mi 98). Il fit de même, en 1572, pour la seigneurie du Châtelard-en-Bauges en faveur de Philibert de Monjovet, gouverneur de la citadelle de Bourg. Charles-Emmanuel 1er fit subir le même sort à Conflans au profit d'Amédée de Savoie en 1594. Mais Marie de Beaucaire, veuve de Sébastien de Luxembourg, puis sa fille, duchesse de Mercoeur, veuve à son tour en 1602, engagèrent une lutte opiniâtre pour soutenir leurs droits et, à défaut de sauver leurs terres savoyardes, essayer du moins d'en tirer une plus juste compensation. C'est cette lutte que racontent en partie nos documents, relayés par ceux de l'ancienne Chambre des comptes de Savoie (A.S., SA 3676-3719).
Mais le domaine savoyard des Luxembourg-Martigues avait vécu. Marie de Luxembourg vendit Thorens à la famille de Sales le 8 juin 1602 (A.N., Minutier central, étude VIII, registre 559, fol. 456 ; Archives du château de Thorens, EII), et échange avec Henri de Genevois-Nemours la seigneurie de Duingt contre celle de Seurre et la baronnie de Saint-Georges en Bourgogne, le 13 mai 1606 (A.H.S., SA 112).
Ce bref résumé donne une idée de l'imbroglio des affaires des Luxembourg-Martigues en Savoie. Il serait possible, sans doute, de reconstituer l'histoire de ces possessions, de leur administration, de leur perte ou de leur aliénation. Mais les archives qui les concernent se présentent dans un état de dispersion qui rend souhaitable un inventaire regroupant par seigneuries les documents dispersés dans les dépôts publics et les collections privées. Nous nous contenterons de donner ici quelques indications succinctes.